La Coupe d’Afrique des Nations (AFCON), qui se déroule actuellement en Côte d’Ivoire, attire tous les regards sur ce pays d’Afrique de l’Ouest. Des éliminations précoces et surprenantes d’équipes de premier plan ont marqué ce tournoi passionnant, menant à une finale très attendue entre la Côte d’Ivoire, pays hôte, et le Nigéria. Le COCAN, le comité d’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations, et, par extension, les Ivoirien-ne-s se sont donné pour mission de faire preuve d’une grande hospitalité envers les milliers d’Africain-e-s de tout le continent venu-e-s soutenir leurs équipes. Le traditionnel Akwaba ivoirien est de mise.
Mais lorsque vous accueillez quelqu’un chez vous, soyez prêt-e à ce que cette personne voit tout ce qui s’y passe. Les bonnes choses, comme le sens de l’humour qui a rendu les Ivoirien-ne-s célèbres dans le monde entier avec des plaisanteries telles que « La Coupe reste » ou « C’est notre Coupe, on l’organise comme on veut » lorsque la Côte d’Ivoire a perdu 4-0 contre le Cap Vert.
Si l’organisation a été excellente, un moment particulier, capté à la télévision à la fin d’un match palpitant entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire, qui a vu l’élimination des champions d’Afrique en titre le 29 janvier, a fait l’objet d’une tendance sur tout le continent.
Alors que la plupart des Ivoirien-ne-s étaient ravi-e-s de la victoire et célébraient la mission impossible que les Éléphants venaient d’accomplir, un homme a osé profiter de ce moment pour harceler une supportrice. L’homme s’adressait visiblement avec force à une femme dont l’expression montrait qu’elle n’était pas à l’aise avec l’invasion de son espace personnel et qui lui demandait de reculer. La supportrice fait un geste de la main et se penche en arrière, mais cet homme n’en démord pas. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agit d’un Ivoirien du nom d’Anselme Santos. La femme qu’il a harcelée était une fan sénégalaise.
Alors qu’il était devenu un sujet de plaisanterie et d’embarras sur Internet, il a cherché à résoudre le problème. Il a été invité sur le plateau de Life TV, une chaîne de télévision et de radio importante et influente en Côte d’Ivoire, « pour donner sa version de l’histoire ».
L’animateur a présenté Santos en ces termes : « Il s’est retrouvé partout sur Internet contre son gré ». On se demande si la fan qu’il a harcelée avait, elle, souhaité voir son visage placardé sur Internet et sur divers médias. Le fait de « raconter sa version de l’histoire » et de bénéficier d’une tribune pour expliquer et atténuer l’impact de ses actes est malheureusement ce que nous voyons souvent dans la grâce accordée aux hommes pour s’en tirer avec le harcèlement sexuel et les comportements prédateurs qui font de la participation des femmes à la vie publique un véritable enfer.
M. Santos a expliqué que tout cela n’était que de l’amusement. À la question de savoir ce qu’il a exactement dit à la fan, il a répondu : « Je lui ai dit ‘donne-moi ton numéro’. Donne-moi ton numéro. C’est pas méchant ». Il a ajouté qu’il était « un grand garçon » qui n’irait pas « dans un stade pour draguer une femme avec toutes les caméras autour » avant de conclure en présentant ses excuses à la « femme, à sa famille, à sa communauté, à son mari, à ses enfants, parce que nous ne nous attendions pas à cela et c’est arrivé ».
Life TV avait aussi invité Monsieur Ghislain Coulibaly, sociologue et expert en genre, ainsi que Me Francine Aka Anghui, présidente de l’Association des femmes juristes de Côte d’Ivoire, à s’exprimer sur le sujet. Mme Aka-Anghui a souligné que la vidéo confirmait l’appel lancé par les défenseur-e-s de l’égalité de genre en faveur d’une Coupe d’Afrique des Nations sans violence.
« Lorsque nous avons lancé cet appel, les gens ont pensé, voilà les femmes-là encore veulent venir parler de problèmes de femmes » a-t-elle dit sur le plateau télé.
Les commentaires ayant suivi la diffusion de la vidéo mènent beaucoup à réfléchir. Il a été déconcertant d’entendre l’expert en genre invité, qui se présente comme un champion de l’initiative He for She, dire que le fait que Santos « vienne à la télévision pour s’excuser auprès de la dame et de la nation doit être considéré comme exemplaire de sa part et, en tant que tel, il est un “He for She” lui-même ; il est engagé pour la cause des femmes. »
Les réactions de nombreux hommes sur les médias sociaux allaient de « Nous allons attendre que vous fassiez le premier pas » à « C’est vraiment malsain de faire toute une histoire de tout » et « À ce rythme, on se demande si une simple salutation ne serait pas une offense à ce genre ».
Notez l’utilisation du terme : ce genre. Un genre qu’on ne peut nommer tant il dégoûte. Puis certains ont prétendu ne pas voir le problème : « Où est le harcèlement ? Il n’a fait que demander son numéro, rien de plus », « Je ne pense pas qu’il mérite tout cet acharnement. Il s’est laissé emporter par l’euphorie de la victoire… »
Les agresseurs et les oppresseurs considèrent souvent que les réactions des victimes sont exagérées, sous prétexte que les protéger gênerait l’agresseur. Cet homme, qui a envahi l’espace personnel d’une femme au point que son chapeau a touché le front de cette fan, ne s’est pas soucié de son bien-être. Le fait de ne pas tenir compte de son inconfort visible a permis un comportement prédateur. L’attente que les femmes tolèrent une telle violence est largement répandue, et pour beaucoup, cet incident a été un écho troublant de leurs propres expériences.
Avant la Coupe d’Afrique des Nations, les féministes ivoiriennes ont sensibilisé la population aux violences basées sur le genre susceptibles de se produire et ont communiqué des numéros verts que toute personne victime de violences basées sur le genre pouvait appeler. Cependant, le COCAN et le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance n’ont pris en compte cette préoccupation que le 29 janvier, date à laquelle le ministère et le COCAN ont signé un partenariat avec Akwaba Mousso, un centre d’accueil pour femmes, le premier du genre en Côte d’Ivoire. Une application, CAN sans harcèlement, a finalement été lancée le 29 janvier.
Ce n’est pas la première fois en Côte d’Ivoire que les femmes doivent s’opposer à la normalisation de la violence patriarcale. Le pays dispose d’un ministère chargé de la condition féminine depuis 1963. En 1996, la militante féministe Constance Yai, par l’intermédiaire de son organisation, l’Association ivoirienne pour la défense des femmes (AIDF), s’est organisée avec d’autres membres pour libérer Fanta Kéita, qui avait été emprisonnée pour avoir tué l’homme avec lequel elle avait été mariée de force. Son âge a été estimé à 11 ou 12 ans, mais son père a affirmé qu’elle avait 16 ans au moment des faits. Avant cela, ce sont des femmes qui, en 1949, marchaient contre les colonisateurs français à Grand Bassam, contribuant ainsi de manière significative au processus de décolonisation qui a conduit à l’indépendance de la Côte d’Ivoire en 1960.
La contribution des médias à la perpétuation de la violence à l’égard des femmes, en particulier en Côte d’Ivoire, en fournissant aux auteurs des plateformes pour diffuser le sexisme et le blâme des victimes, n’est pas nouvelle. En septembre 2021, sur le plateau d’une émission télévisée populaire de la Nouvelle Chaîne ivoirienne (NCI), un invité présenté comme un “ancien violeur” a été encouragé par le présentateur, Yves de Mbella, à simuler un viol sur un mannequin en plastique. L’incident offensant a fait la une des médias ivoiriens et internationaux, incitant les militantes des droits des femmes à organiser un sit-in devant la chaîne de télévision pour exiger des mesures.
Mettre fin aux violences sexuelles lors des tournois de football
Les militantes féministes ivoiriennes affirment que l’organisation de la Coupe des Nations ne doit pas compromettre la sécurité des femmes. Elles critiquent le silence du COCAN, de la Fédération ivoirienne de football et du gouvernement. Le harcèlement sexuel lors d’événements publics et de tels comportements, illustrés par les actions de Santos, dissuadent les femmes d’assister aux matchs de football et limitent leur liberté.
Les hommes continuent de dominer les arènes sportives et le discours, bien que les femmes franchissent de plus en plus de barrières dans le football masculin africain, y compris dans des rôles tels que le commentaire, l’arbitrage et le journalisme. Les grands événements comme la Coupe d’Afrique des Nations exacerbent le risque de diverses formes de violence fondée sur le genre, telles que le harcèlement verbal, non verbal, physique et sexuel, les abus et l’exploitation. Le sexisme dans les stades influe grandement sur la présence des femmes aux matchs. Les femmes sont souvent confrontées à des contacts physiques et à des attentions non désirés pendant les matchs de football masculin et sont également vulnérables pendant les célébrations d’après-match, où elles doivent rester vigilantes quel que soit le résultat du match. Par exemple, lorsque le Sénégal a remporté sa première Coupe d’Afrique des Nations en février 2022, il s’agissait d’une victoire héroïque et historique, et l’équipe a été accueillie par des rassemblements de victoire dans son pays. Cependant, ce qui n’a pas été l’objet de grandes unes, ce sont les agressions sexuelles dont ont été victimes les filles et les femmes pendant les célébrations.
Il est essentiel d’intégrer la prévention et la réponse à la violence basée sur le genre (VBG) dans les mesures de sécurité des grands événements pour protéger les femmes, les filles et les autres groupes vulnérables. Les gouvernements hôtes et les organisations de football négligent souvent les problèmes de sécurité que posent aux femmes et aux enfants les grandes foules de supporters rassemblés pendant de longues périodes, et ils doivent s’attaquer à ces problèmes de manière efficace.
Tolérer le comportement sexiste d’individus comme Santos et le considérer comme un badinage inoffensif ne fait que renforcer les stéréotypes de genre qui soutiennent le harcèlement sexuel, signalant aux femmes que leur sécurité et leur dignité dans les stades de football ne sont pas des priorités. La Confédération africaine de football (CAF) doit prendre des mesures décisives pour s’assurer que les stades de football et l’environnement des grands événements respectent une politique de tolérance zéro à l’égard du harcèlement sexuel. Ce changement est nécessaire lors de la prochaine Coupe d’Afrique des Nations.
Edwige Renée Dro est une écrivaine et traductrice littéraire originaire de la Côte d’Ivoire. En 2020, elle a fondé 1949 : la bibliothèque des écritures féminines d’Afrique et du monde noir à Abidjan.
Rosebell Kagumire est une écrivaine et militante panafricaine. Elle est la rédactrice-en-chef de Africanfemism.com.