Comme dans la plupart des pays du monde, les personnes LGBTQIA+ d’Afrique francophone continuent de résister à une oppression institutionnelle et sociale profondément enracinée. Dans cette région, les lois varient entre criminalisation explicite, criminalisation implicite, vide juridique ou, plus rarement, protection légale, comme c’est le cas au Cap-Vert. Cependant, même dans les pays où l’homosexualité n’est pas criminalisée, l’intolérance sociale reste omniprésente, et les personnes LGBTQIA+ vivent sous la menace constante de violence, de rejet familial et d’exclusion. Malgré ces obstacles, les mouvements LGBTQIA+ s’organisent et revendiquent fièrement leur droit à la dignité, construisent des réseaux de solidarité, élargissent leurs actions au-delà des grandes villes, et plaident pour un changement social et légal significatif.
En 2024, certains pays ont fait progresser les droits des personnes LGBTQIA+, tandis que d’autres intensifient leurs actions répressives, souvent en imposant des restrictions légales et en criminalisant les personnes concernées.
Si l’on fait le point sur la situation en Afrique francophone, la majorité des pays criminalisent les relations homosexuelles et ne reconnaissent pas les personnes LGBTQIA+. Neuf de ces pays, dont le Cameroun, le Sénégal, la Guinée et le Tchad, imposent des peines de prison pour les relations homosexuelles, allant souvent de six mois à cinq ans.
En 2024, le Mali a adopté un code pénal qui criminalise explicitement l’homosexualité, la transidentité et la transsexualité. Jusqu’en octobre 2024, la vie des LGBTIQ+ n’était pas aussi politisée, mais la promulgation du code pénal de 2024 a sonné le glas : l’homosexualité est désormais explicitement interdite.
En RDC, les relations homosexuelles ne sont pas spécifiquement criminalisées mais les lois sur la bonne moralité peuvent être appliquées aux relations homosexuelles. En effet, l’article 176 du code pénal en vigueur dispose que tout acte ou offense qui outrage “publiquement” les moeurs peut être punie d’une sentence de huit jours à trois ans d’emprisonnement ferme.
En Côte d’Ivoire, bien que l’homosexualité ne soit pas spécifiquement criminalisée, des tentatives d’introduction de législations discriminatoires ont été observées. Ces initiatives visaient à restreindre davantage les droits des personnes LGBTQIA+ sous prétexte de protéger de supposées valeurs culturelles et morales. Par ailleurs, bien que les lois ivoiriennes n’interdisent pas explicitement les relations homosexuelles, les personnes issues de cette communauté continuent de faire face à des arrestations arbitraires, des violences, et une exclusion sociale.
Des mesures similaires à celles du Mali ont été prises au Burkina Faso, où le chef de la junte militaire Ibrahim Traoré a interdit les “actes d’homosexualité”, devenant ainsi le dernier État africain à réprimer les relations entre personnes de même sexe.
Au Burundi, les relations entre personnes de même sexe sont explicitement criminalisées. L’article 590 de la révision 2009 du code pénal burundais dispose que les relations entre personnes de même sexe sont passibles d’une peine d’emprisonnement d’un à trois ans. Bien que cette législation ait été appliquée à certaines occasions, les arrestations restent relativement rares, mais cette loi a un impact direct sur le travail des organisations de défense des droits des personnes LGBTQIA+.
Au Bénin, il n’existe pas de législation spécifique interdisant l’homosexualité ou pénalisant les relations entre personnes de même sexe, ni de lois interdisant purement et simplement l’expression du genre, mais les mesures visant à promouvoir l’inclusion, la protection ou la reconnaissance des droits des personnes LGBTQIA+ sont limitées. Les normes sociales conservatrices et l’influence religieuse créent un climat hostile aux personnes LGBTQIA+ entraînant discrimination et harcèlement. Malgré ces niveaux de répression, les personnes LGBTQIA+ ont continué à résister à la violence et à la discrimination au Bénin
Exister, c’est résister
Lors de la conférence mondiale de l’ILGA au Cap, j’ai rencontré plusieurs activistes qui m’ont parlé des réalités de leur pays. C.M., une activiste queer travaillant au Burundi, a expliqué qu’il n’était pas facile de faire son travail correctement, entre des normes juridiques restrictives et des normes socioculturelles stigmatisantes et pesantes.
“Nous vivons dans une société où l’on parle de tout en silence et où les seules discussions publiques qui ont lieu sont davantage axées sur la discrimination, sur la pénalisation, sur le fait de dire que l’homosexualité, le fait d’être membre de la communauté LGBTQ devrait être un péché et que toutes les personnes devraient être ‘lapidées‘ à mort, parce qu’elles font cela. Parce que c’est un acte diabolique et abominable,“ déclare C.M.
J-C M. explique que “la loi limite leur capacité à atteindre toutes les personnes qu’ils devraient soutenir.“ Cette restriction crée des obstacles non seulement pour la communauté concernée, mais aussi pour la visibilité et la transparence des actions entreprises par ces organisations.
G.A., une militante lesbienne du Bénin, explique que l’absence de criminalisation n’est pas nécessairement synonyme de libération. “Au Bénin, la loi est silencieuse et c’est ce silence qui nous empêche vraiment de travailler”, dit-elle, “nous ne pouvons pas travailler avec la liberté que nous voulons. Les normes sociales créent un climat de peur. Le contexte social rappelle constamment à l’État que ces personnes n’ont pas le droit d’être ce qu’elles sont, et pousse la communauté à prendre des décisions radicales.“
Le Burkina Faso a peut-être fait la une des journaux internationaux pour les tentatives actuelles de lutte contre le néocolonialisme français, mais la situation des homosexuels reste préoccupante. En ces temps de nationalisme exacerbé, la vie des personnes LGBTQ+ est souvent rendue encore plus marginale, car elles sont considérées comme des boucs émissaires étrangers, en dépit de l’histoire.
S.O., un activiste Burkinabè, décrit des réalités alarmantes rendues possibles par la technologie et les plateformes de médias sociaux. “Récemment, des vagues de mouvements anti-genre ont émergé. Sur TikTok, des influenceurs incitent à la violence et diffusent des images de personnes « soupçonnées d’être LGBTQI“. “Une loi proposée par le régime militaire menace de condamner les personnes LGBTQI+. Même si elle n’a pas encore été adoptée, de nombreuses personnes la considèrent déjà comme efficace, légitimant leurs actes de violence. Pour eux, nous sommes des sous-hommes. Si cette loi est adoptée, que deviendrons-nous ?“
Le mois d’octobre 2024 a vu naître la campagne ’Poignardez les pédés’, lancée par un artiste camerounais qui promeut activement la haine dans l’une de ses chansons popularisée sur la plateforme Tiktok ; ainsi que la campagne ’Tuez les woubis’ en Côte d’Ivoire.
Ces campagnes homophobes sont orchestrées par des figures influentes comme des artistes, des leaders religieux fondamentalistes et des acteurs politiques conservateurs, qui exploitent des plateformes numériques comme TikTok, WhatsApp et Facebook pour diffuser des messages de haine. TikTok est particulièrement utilisé pour sa viralité rapide à travers des vidéos courtes et des défis ou ’Challenges’, tandis que WhatsApp permet une diffusion discrète dans des cercles privés. Mieux, elles s’inscrivent dans une dynamique délibérée de stigmatisation, souvent soutenue par des institutions étatiques ou des discours politiques légitimant l’intolérance. Relayées par des médias conservateurs et des influenceurs en quête de visibilité, elles ciblent les émotions pour maximiser leur impact, tout en étant combattues par des organisations féministes et LGBTQIA+ qui tentent d’apporter une contre-narrative dans un contexte hostile.
“En Côte d’Ivoire, la campagne contre les personnes LGBTQ+ est apparue de manière inattendue,“ raconte Nicki, une militante. “Un groupe religieux organisait des conférences sur la vie et la famille. Quelques semaines plus tard, la situation a dégénéré. Certaines personnes ont été lynchées. Nous avons mobilisé nos partenaires pour reloger certaines victimes.“
En effet, en juin 2024, la sixième conférence annuelle ’Strengthening Families’ a été organisée par l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours à Abidjan. Cette conférence est une plateforme bien connue des mouvements antisexistes qui continuent d’utiliser de faux arguments fondés sur les ‘valeurs africaines‘ pour tenter d’éroder les droits acquis des femmes et des minorités de genre.
L’espoir dans la solidarité
Malgré une hostilité croissante, les mouvements queer et de défense des droits de l’homme résistent et font preuve d’une détermination sans pareille. Les organisations et les collectifs continuent de sensibiliser et d’apporter leur soutien tout en créant des espaces sûrs et en faisant preuve de défiance. De nombreuses organisations ont été confrontées à des obstacles à l’enregistrement, ce qui les empêche d’atteindre un plus grand nombre de personnes. Beaucoup continuent à travailler sur la décriminalisation et la reconnaissance des identités de genre. Beaucoup se rallient à des opportunités d’organisation transnationales et s’engagent dans des espaces de solidarité internationale tels que les mécanismes de suivi des Nations Unies comme l’Examen Périodique Universel (EPU).
Dans le cas du Bénin, une coalition d’organisations a soumis un rapport alternatif à l’EPU en janvier 2023. Sur 258 recommandations, 16 portaient sur les questions queer. Le gouvernement béninois a accepté 9 d’entre elles.
“Ce qui me motive, c’est la communauté elle-même. Voir des gens dans le besoin, des jeunes qui n’ont pas accès à des informations vitales, me pousse à me battre,“ déclare G.A. du Bénin, activiste queer béninoise.
Les coalitions régionales telles que PI7, Fierté Afrique Francophone et Coalition Plus rassemblent des organisations LGBTQIA+ pour faire entendre la voix des populations marginalisées face à une forte répression. La recherche de financements dans un contexte de crise économique nationale et mondiale est une constante pour les organisateurs queer. Alors que les groupes les plus hostiles aux droits sont enhardis et financés au niveau international, les mouvements queer sont souvent considérés comme des boucs émissaires ‘importés‘ et étrangers aux cultures locales. Pour les militants, l’adoption d’une approche décoloniale est devenue essentielle. Le mouvement LGBTQIA+ refuse désormais de ’quémander’ des droits et affirme fièrement sa légitimité en s’enracinant dans l’histoire et les identités locales.
Pour C.M., du Burundi, les progrès réalisés représentent une victoire qui annonce des jours meilleurs. “Les personnes LGBT n’ont plus peur de se rencontrer et de s’associer. Cette partie où ils peuvent être ensemble et parler de ce qu’ils vivent, pour qu’ils n’aient pas peur, je dirais que c’est la plus grande réussite“, affirme-t-il.
L’histoire nous enseigne que les grandes avancées en matière de droits de l’homme ont toujours été le résultat d’actions concertées et de solidarité. Petit à petit, les pierres sont posées et, malgré les obstacles, l’édifice est debout. Pour J.C., l’objectif ultime reste de “construire des sociétés africaines libres de toute forme de discrimination.“
Principale par RDNE Stock project
Par Sarah, une féministe décoloniale radicale béninoise et avocate spécialisée dans les droits de l’homme. Elle milite avec passion pour la justice sociale, qu’elle considère comme le cœur de son engagement. En tant que directrice de programme d’une ONG féministe, Sarah promeut les droits des femmes, en particulier la santé sexuelle et reproductive, lutte contre la violence basée sur le genre et renforce l’autonomie des filles et des femmes.
Editée par Tabara Korka Ndiaye, chercheuse, écrivaine et commissaire d’exposition sénégalaise. Elle est candidate au programme de master et de doctorat à la Makerere Institute of Social Research (MISR) dans le domaine des études sociales interdisciplinaires. Tabara s’intéresse particulièrement à la manière dont l’avenir peut être façonné à partir d’histoires personnelles. Sa pratique s’articule autour d’études sur les féminismes africains et la relation entre les archives et l’effacement des femmes dans l’histoire du Sénégal. Elle est basée entre Kampala et Dakar.
Cet article fait partie de notre rubrique « African Feminist Takes from the 31st ILGA World Conference » (Les regards des féministes africaines sur la 31e conférence mondiale de l’ILGA). Du 11 au 15 novembre 2024, la Conférence mondiale de l’ILGA s’est tenue au Cap, en Afrique du Sud, pour la première fois depuis 25 ans. La Conférence mondiale de l’ILGA est le plus grand rassemblement mondial de décideurs LGBTIQA+, réunissant des défenseurs des droits de l’homme et des experts en développement LGBTQIA+, des décideurs politiques, des experts des mécanismes internationaux des droits de l’homme, des chercheurs, des journalistes, des bailleurs de fonds et des alliés dans le monde entier.
La conférence s’est tenue sous le thème « Kwa umoja we rise “, un mélange de swahili et d’anglais – ” Kwa umoja “ signifiant ” Ensemble “ ou ” Dans l’unité » – à un moment où de nombreux mouvements féministes et homosexuels africains sont confrontés à une répression constante en matière de droits de l’homme. Les mouvements LGBTQIA+ africains militent activement pour la justice sociale aux côtés d’autres groupes, mais ils sont confrontés à une violence et à une discrimination spécifiques et constantes et risquent de perdre des droits durement acquis. Plus que la plupart des autres groupes, ils sont confrontés à un environnement dans lequel les boucs émissaires sont désignés, ce qui rend les efforts en matière de droits de l’homme de plus en plus difficiles à mettre en œuvre. Malgré ces revers, des progrès ont été enregistrés dans certains pays au cours des dernières années, soulignant le besoin crucial de solidarité et de collaboration entre les mouvements. Face à une opposition violente, il est essentiel de construire des ponts et des mouvements inclusifs dans la poursuite de la justice et d’un meilleur avenir pour tous.
African Feminism – AF, avec le soutien du Le Fonds Africain pour le Développement de la Femme (AWDF), a collaboré avec des féministes africaines pour partager leurs points de vue sur la conférence, se solidariser avec les mouvements de libération queer sur le continent africain et les soutenir. Cette collaboration est centrée sur l’amplification des voix et des récits à travers une optique intersectionnelle, mettant en lumière les questions émergentes et les expériences vécues, tout en renforçant la résistance et la conscience féministe.
Le Fonds Africain pour le Développement de la Femme (AWDF) est au cœur du mouvement féministe africain en tant que fonds féministe transformateur dédié au financement, au soutien et au renforcement des initiatives en faveur des droits des femmes et des mouvements féministes à travers le continent. En tant que partenaire actif et fervent défenseur de la justice entre les hommes et les femmes, l’AWDF aide les organisations à construire des fondations durables tout en créant un changement systémique durable dans toute l’Afrique.